La fascination du volcan, de Frédéric Le Blay

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Cet ouvrage érudit mais captivant, situé entre épistémologie, philosophie et philologie, s’attelle à comprendre pourquoi le volcan, figure si présente dans les récits de l’Antiquité gréco-romaine, est en revanche absent de la science des Anciens. Il est découpé en trois parties assez différentes mais toutes également intéressantes. Dans la première, Frédéric Le Blay définit les concepts de mythe et de science, montrant que les deux ne sont pas nécessairement opposés. Pour les populations antiques, le mythe n’avait pas le sens qu’on lui prête aujourd’hui et constituait de fait leur façon de percevoir le monde réel. Mythe et science ne forment pas non plus un continuum temporel, où la seconde remplacerait le premier dans une sorte d’illumination soudaine de la pensée humaine. Les deux ont pu coexister – et le font toujours dans les quelques sociétés qui n’ont pas été absorbées par le rationalisme occidental…

Dans la deuxième partie, l’auteur revient sur l’apparent paradoxe que constitue le volcan à l’époque antique. Les volcans sont présents dans de nombreux récits, associés à des figures mythiques comme celle du géant… Mais il n’existe pas de mot pour désigner l’objet volcan, en latin pas davantage qu’en grec ! En réalité, Frédéric Le Blay démontre que le volcan n’existe pour les Anciens qu’à travers le phénomène volcanique, c’est-à-dire l’éruption, le feu, la lave (elle aussi un concept sans mot associé à l’époque)… C’est un lieu de métamorphose. En dehors des rares périodes d’activité, le volcan n’est qu’une montagne comme les autres. Les peuples antiques ne vivaient donc pas dans l’ignorance des volcans ; ils connaissaient très bien les colères de l’Etna, sans doute le plus célèbre d’entre eux à l’époque, au centre du monde méditerranéen. Ils connaissaient également le caractère volcanique du Vésuve, et ce même avant l’éruption plinienne de l’an 79, contrairement à une croyance tenace. Mais l’objet volcan n’existait pas en tant que tel dans la météorologie antique, science qui englobait alors l’ensemble des phénomènes naturels.

Le tableau "Mount Etna from Taormina", de Thomas Cole, huile sur toile de 1843.
Mount Etna from Taormina (1843), huile sur toile de Thomas Cole, représente les ruines antiques de Taormine devant l’Etna. Le volcan sicilien tient un grand rôle dans les mythes des Anciens.

Enfin, l’auteur propose une nouvelle traduction française du poème latin anonyme Aetna, qu’il considère comme le seul véritable traité de volcanologie de l’époque. Et il est vrai que le texte s’affranchit des vieux mythes liés à l’Etna pour proposer un regard étonnamment moderne sur le phénomène volcanique, avec des descriptions très précises des différentes phases éruptives. Frédéric Le Blay fait l’hypothèse que, loin d’être un texte isolé, ce poème – qui ne cite aucune source – représenterait en fait les connaissances sur les volcans des savants de l’époque. Mais les textes sur lesquels le poète se serait appuyé pour composer son oeuvre ont été perdus… rendant ce témoignage d’autant plus précieux.

Le Blay F, 2023. La fascination du volcan – Les mythes et la science. Vrin.

Article issu de kīpuka #4, texte diffusé sous licence CC BY-NC-ND.